Part.1, Dakar,Dioneware (Sénégal)
mai 2016



85 objets-histoires au départ, 47 objets échangés et 2 objets données
Temps de troc activé dans 4 endroits différents au Sénégal durant la résidence/projection au Sénégal en partenariat avec l’École des Beaux Arts de Nantes


 

Tôt le matin, je pars en compagnie de Nahomi, ma photographe, rejoindre Festivale à Guinaw Rail. Nous prenons le temps de boire le thé puis partons toutes les trois au marché.  
Il n’y pas grand monde encore à cette heure-ci, chacun des Boudumons s’installent tranquillement.
Je pose mon stand sur le Marché de Thiaroye Gare, face au rail du train, à même le sol, un mélange de sable, de petits cailloux, de déchets, plastiques, cheveux, emballages, gobelets …
Modou, l’agent des ordures solides est avec nous pour surveiller le bon déroulement des opérations.
Je commence à m’installer. Beaucoup d’ hommes  s'approchent. Une foule m’entoure et s’interroge sur ce que je fais. Ils me pressent, m’interrogent, veulent acheter.
Je leur dit, attendez un petit instant, la partie n’a pas encore démarré.

Top départ, stand installé, le troc n°1 commence.
Plus de 2 heures dans une frénésie bruyante et dense, dans un mélange de langue wolof et française, entre les cris, les rires et de courts moments de chuchotement, entrecoupé par le passage du train.
Tout va très vite, trop vite.
Modou intervient trois fois avec son taser, pistolet à impulsion électrique, pour calmer la foule surexcitée.
Il fait chaud, très chaud.
Les voix s’élèvent, l’excitation monte.
Certains hommes s’énervent d’être pris en photo. Nahomi leur explique, les rassure.


Un homme me tend une perruque à troquer mais Festivale refuse. Un autre homme veut troquer mais il n’a pas d’objet, Si je te passe un bout de ma barbe, cela te va ? Je n’ai pas de ciseau avec moi.
Avec Badoora, l’échange prends du temps. Il veut le robinet en laiton, qui appartenait au père de Mélodie. Cet objet a une valeur affective. Badoora revient plusieurs fois avec divers objets, dont une clochette pour mettre au tour du cou des brebis.
Les hommes autour de moi, m’expliquent qu’il veut le laiton pour pouvoir le faire fondre et s’en faire un talissement magique.

La situation s'apparente à un jeu.
Chaque personne s’amuse à troquer.
Certains choisissent un objet, s'éloignent et reviennent 5 minutes plus tard pour troquer un objet qu’ils viennent d’acheter sur un stand plus loin.
Certains prennent leur temps. Certains jouent un rôle de séducteur à mon égard.
Mansour Fall reste un long moment avec nous. Il scrute, cherche l'objet qui lui plaît, puis me troque une paire de lunettes de soleil contre un sachet de pailles colorées.

Je n’ai troqué qu’avec deux femmes, Amida Daouho et Faty Ndiaye.
Ce troc n°1 se termine avec Sidou Dabo, qui me tend une balle rebondissante bleu, en pensant qu’il s’agit uniquement de donner. Il met un instant à comprendre qu’il s’agit d’un échange. Il repart avec en main une brosse en métal pour poncer ponçage diamètre 50mm.

22 objets sont troqués.


Festivale nous accompagne chez Adama Diouf.
Il vit non loin du Marché de Thiaroye Gare, il nous montre sa chambre, au fond à gauche de la cour, tout du long les autres chambres sont occupées par deux familles.
Il y a une petite table, sur laquelle sont vendus des sachets de piment, de poivre, des cubes de bouillons de poule, mouton, boeuf et autres, il y a aussi des sachets d’arachides diverses et quelques bijoux.
Dans les quartiers populaires, les femmes se déplacent souvent chez leurs voisines, ou leurs parents pour vendre, acheter, se réunir, discuter, commérer.
Il y a une forte odeur qui émmane de la cour, la fosse septique faisant aussi office de poubelle placé à un coin de la cour dégage cette odeur, par vague.  
Toujours en compagnie de Nahomi, mais sans Festivale, elle a à faire, j’installe mon stand .
Sur une table, que me prête Adama, recouverte du tapis de troc, pour y mettre ensuite les objets : bijoux, vêtements, jouets, biberons.
Adama part prévenir les femmes et les enfants du quartier du troc qui va se dérouler.


Il dure un peu plus de 1h30.
Tout est beaucoup plus calme.
Chaque femme prend le temps d’observer cette table de troc, de choisir un objet et de réfléchir à ce qu'elle veut troquer. Elles sont assises pour la plus part autour de la table, les enfants sont debout.
Les enfants sont intrigués, curieux face à ces objets, face à ce Furby, cette petite boule de poil blanche robotique, une peluche interactive qui parle un langage inconnu, qui les effraie par moment. Je leur explique ce que c’est, qu’il faudra le traiter avec grand soin en tant qu’animal de compagnie virtuel, que l’on peut lui apprendre à parler. Je leur dit que celui qui le troquera pourra sans doute lui apprendre des mots en Wolof. Puis il trouve sa propriétaire, une jeune fille Aicha Ndiaye, qui en échange le troqua contre un objet de décoration en céramique avec des dauphins que lui avait offert sa grand-mère.
Elle est souriante, elle part de suite le montrer à ses copines et jouer avec.


Beaucoup d’objets nantais sont troqués contre des colliers offerts par une tante, une amie, une mère, une grand- mère décédée.
Deux jeunes garçons, l’un après l’autre, me racontent la même histoire en me présentant un collier Bin-Bin. Un bin-bin que l’on place autour du torse durant la cicatrisation de la circoncision.

Certains objets ont une valeur certaine pour les donneurs, comme ce boubou d’homme, celui de son père décédé, donné par Maty Pène , ce foulard  pour protéger du mauvais sort que me troque Rekhaya Bacayoko, ou un collier qui me permettra de penser au Sénégal me dit Awa Dialo.

Je suis déçue par certaines des histoires qui se répètent. Comme celles des bijoux souvenirs « de tante, de mère, de grand mère ». D’est le jeu. Entre deux cultures différentes, entre deux rapports différents à l’objet et à sa valeur.
Je sens aussi que je suis souvent vue et considérée comme « une femme blanche qui donne des cadeaux ».
Une femme blanche, aux yeux de certains sénégalais, qui a de l’argent.  Images laissées par la colonisation, l’Homme blanc, le français, le touriste.
Une forme d’incompréhension s'installe parfois. Il faut discuter, discuter encore, et encore.

17 objets sont troqués.


Nous sommes là pour réaliser un projet collectif, un radeau.
Pendant cette semaine, je rencontre Ami et Awa, qui entretiennent les maisons et cuisinent où l'on séjourne, Youssou Ndor, un piroguier/pécheur, El Abdou Diene artiste, Assan, paysan et son cheval Bélogou, Saraba appelé aussi Nicolas le jardinier, Mistic Sangord musicien.   
Je parle du projet mené à Dakar que je compte réitérer sur l’île.
En fin de la semaine, nous partons sur un radeau que nous avons construit. Quasiment à la dérive. Nous souhaitons aller jusqu'au village de Falia, où habite une tante de Mistic.
J'emporte un ballotin d’objets prêts à être troqués.Après quatre heures de traversée, les enfants nous accueillent par des chants. Je me sens fatiguée et gênée. Les habitants de ce village vivent avec si peu de choses.Je repars à Dionewar sans avoir ouvert mon ballotin.

Le jour du départ, je m'installe durant une matinée sur la plage de Dionewar en compagnie de Nahomi puis de Suji. Je troque avec Youssou, du matériel de pêche contre un hiboux et une tortue taillés dans du Tek.
Abdou troque des objets qu’il fabrique pour que je les emmène en France.
Mistic, avec qui durant la semaine, j'ai longuement discuté de cette action d’échange, me troque sa veste bleue en fil de Baobab, il n’avait que cela sur lui, contre l’objet que m’avait légué Arnaud, un brumisateur qui recrée un climat tropical.
Arnaud m’a donné cet objet avec le but qu’il génère une expérience intriguante, incongrue.

5 objets sont troqués.


Avant de monter dans la voiture qui nous ramène à Dakar, je donne à Mistic deux sculptures en bois, mes crémaillères.
Je finis mes actions de troc, par une action de don, tel une offrande.
Un don d’objets, que je prends le temps de travailler/sculpter à la main, contre le temps qu’il nous avait donné.

2 objets sont donnés.